L’enseignement des langues vivantes figure bien dans les programmes de l’Education nationale, mais dans les faits, qu’apprennent les enfants à l’école ? Cet enseignement est-il à la hauteur des objectifs et niveaux de maîtrise visés ?
Programmes ambitieux versus pratique insuffisante
Pour préparer cet article, je me suis dit que j’allais commencer par jeter un œil aux programmes de langues. Je ne vais pas tout ressortir ici car ils sont consultables au format pdf pour ceux qui voudraient les détails.
Cependant, le préambule est tout à fait éloquent et montre bien quelles sont les ambitions de l’enseignement des langues à l’école :
- priorité donnée à l’oral,
- développement de la « curiosité, écoute, attention, mémorisation, confiance en soi »,
- compréhension, reproduction, production
- apprentissage culturel
Par ailleurs, une progressivité est prévue selon trois thèmes :
- l’enfant (soi, famille, activités quotidiennes)
- la classe (alphabet, nombres, météo, repères temporels, activités…)
- l’univers enfantin (animaux, comptines, fêtes…)
Rien à redire, tout y est ! Malheureusement, la marge entre ce qui est préconisé et ce qui est réellement enseigné est parfois énorme…
Des objectifs non atteints en fin de cycle
En effet, les objectifs sont loin, très loin d’être atteints.
Ainsi, à titre de conclusion pour le cycle 2, les programmes prévoient qu’en CE2, les élèves « reproduisent la date, de courtes comptines, des chants, des poèmes. Après entraînement, ils lisent à voix haute des textes brefs et racontent une histoire courte et stéréotypée en s’aidant de quelques images. » « Ils peuvent engager une conversation très courte (…) épeler des mots simples (…) répondre à quelques questions (…).
Hormis quelques exceptions louables, peu d’élèves atteignent ce niveau ! Evidemment, cela se répercute sur les attendus pour les CM1/CM2. Au final, les élèves bénéficient d’un enseignement des langues efficient à partir de la 6ème. Ce qui est bien trop tard ! Certes, les enfants sont « familiarisés » avec l’anglais, l’allemand, parfois l’espagnol ou l’italien, mais leur niveau est en dessous des objectifs fixés par les programmes.
Pourquoi l’enseignement des langues à l’école primaire ne remplit-il pas ses objectifs ?
Manque de temps
En premier lieu, les enseignants invoquent un manque de temps. La course aux programmes et l’organisation des différentes activités laissent peu de temps pour l’enseignement des langues. Il faut faire des maths et du français, mais aussi de l’histoire, de la géographie, des sciences et de la technologie, du sport, des arts visuels, de la musique. Il y a aussi les brevets informatique, de natation, de premiers secours, le permis piéton, sans compter de multiples activités en dehors de l’école.
Les maîtres et maîtresses ont le sentiment de devoir jouer sur tous les fronts. La difficulté à établir un emploi du temps équilibré et respectueux des horaires officiels influence en priorité le temps imparti à l’enseignement des langues.
Concrètement, les langues figurent à l’emploi du temps, mais les semaines chargées où la classe a piscine, permis piéton et sortie au musée, les cours de langue sautent. Pourquoi ?
Manque de compétences
D’une part, on juge plus important de s’entraîner à conjuguer au passé composé ou à diviser à deux chiffres plutôt que de chanter en anglais. D’autre part, les enseignants s’estiment peu formés à l’enseignement des langues. Ils ne sont pas à l’aise pour s’exprimer à l’oral et disent manquer de supports.
Pourtant, depuis environ 15 ans, le concours de professeur des écoles comprend une épreuve de langue. De plus, la formation initiale prévoit de délivrer une habilitation à enseigner une langue. Les professeurs non habilités doivent participer à des sessions de formation pour obtenir la fameuse habilitation. Des maîtres et maîtresses se sont retrouvés estampillés « habilités » sans vraiment maîtriser, ni souhaiter enseigner l’anglais ou autre à leurs élèves.
C’est pourquoi, pour parer cette difficulté, certains inspecteurs ont demandé aux plus jeunes, obligatoirement habilités, de pratiquer l’échange de services avec leurs aînés. Cela consiste à échanger un cours de géo contre un cours d’allemand, par exemple.
Par ailleurs, par l’entremise de la coopération étrangère, certains établissements bénéficient d’un intervenant qui prend en charge les élèves. Mais, en général, il ne dispose pas de créneaux pour toutes les classes. De plus, il n’occupe pas le poste de façon continue, ne termine pas l’année ou n’opère qu’un an. De ce fait, il est impossible d’avoir un bon suivi pédagogique et didactique. Par exemple, les élèves apprendront trois ans de suite à se présenter ou à compter jusqu’à 100, alors qu’ils ne connaissent toujours pas les différentes parties du corps…
Redonner la priorité aux langues
Je me demande dans quelle mesure nous avons ou sommes en train d’abandonner les langues vivantes. Aujourd’hui, on craint les déserts numériques, mais que dire de la pratique des langues étrangères ? Bien que leur maîtrise soit primordiale sur le marché du travail, le niveau des français en anglais, allemand ou espagnol n’a pas progressé. Du coup, les parents se tournent vers des cours privés ou des stages à l’étranger, aux tarifs souvent exorbitants. Cela n’a pas lieu d’être, l’école doit pouvoir enseigner efficacement les langues vivantes.
Favoriser encore et toujours l’oral
Au primaire, cela devrait être la règle absolue ! Toujours pratiquer l’oral, avant de passer à l’écrit. La répétition et la ritualisation des cours doivent être la norme. Comme on fait du calcul mental ou de l’orthographe tous les jours, l’enseignement des langues doit être fractionné en petites unités de temps. Le recours au chant, aux jeux de langue, au théâtre et jeux de rôle apportent des solutions concrètes pour rendre les langues attractives et accessibles. Certains éditeurs comme Retz ou ABC Mélody proposent des supports très bien conçus et motivants. Inutile de faire cours pendant 45 minutes. 10 à 15 minutes par jour suffisent à donner une bonne oreille et à attiser l’envie d’apprendre. On peut prévoir des séances plus longues pour découvrir la culture des pays pratiquant les langues étudiées, voire quelques séances bilan avec davantage d’écrits pour les plus grands.
Transversalité des apprentissages
Dans le cadre d’un cours de géographie, on peut en profiter pour localiser et observer les paysages et monuments de pays dont on enseigne la langue. De même, l’éducation civique et morale englobe l’ouverture sur le monde et les autres. Là encore, l’enseignement des langues prend tout son sens. D’autre part, les points de convergence et de débat sont nombreux en histoire, que l’on parle de la guerre de Cent Ans, de la colonisation de l’Amérique ou des deux guerres mondiales.
Littérature et langues vivantes
Par ailleurs, utiliser des albums jeunesse comme supports d’apprentissage ouvre une porte d’entrée pour capter l’attention, des plus jeunes en particulier. A titre d’exemple, l’Institut Goethe propose ses conseils et ressources pour aborder l’allemand dès la maternelle en racontant des histoires. Répétitives, musicales, elles favorisent la mémorisation du vocabulaire et des structures langagières. De plus, elles permettent de réaliser des travaux en arts visuels et/ou musical. On peut même utiliser des marionnettes et demander aux enfants de les animer. Le concept de kamishibaï (théâtre ambulant japonais) adapté en classe, illustre la richesse des exploitations d’albums (en langues étrangères comme en français d’ailleurs !).
Le numérique au service des langues
D’autre part, si l’on dispose d’un tableau interactif, on peut aisément mettre à disposition des élèves des saynètes, des comptines, des applis pour mémoriser et faire parler en classe. L’environnement numérique remplace l’ « English corner » tombé en désuétude ! Les ressources en ligne, institutionnelles ou non, permettent de concilier oralité, support visuel et pratique numérique. Bref, il existe des solutions pour se faciliter l’enseignement des langues à l’école !
Si vous voulez témoignez de votre pratique en classe, ou partager vos astuces et expériences en tant que parent ou prof, n’hésitez pas à laisser un commentaire !
Et pour finir, une petite vidéo (en français) de démonstration du kamishibaï sur youtube :